Un article publié sur lemonde.fr le 28 avril 2020 témoigne de la mobilisation de médiateurs familiaux dans le contexte actuel de crise sanitaire et de confinement.
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» A Lyon, les professionnels s’organisent en menant des entretiens via Internet. Un défi pour un exercice normalement fondé sur des rencontres physiques en lieu neutre.
Comment assurer la médiation familiale en situation de confinement généralisé ? Depuis le 17 mars, la question pousse les professionnels de la région lyonnaise à réinventer leur pratique, afin d’aider couples et familles à retrouver la fluidité des relations humaines. « Nous avons appelé toutes les familles pour leur signaler que nous étions toujours là, qu’elles pouvaient compter sur nous », explique Véronique Jacquemain. La directrice du Centre de la famille et de la médiation (CFM) constate : « Après un temps de sidération, nous avons ressenti le besoin de reprendre le travail dans cette période si particulière d’isolement. »
Les huit médiatrices de l’association ont poursuivi les trois quarts de leur activité, dans des formes complètement inédites. En menant des entretiens par Internet, principalement par Skype. Un défi pour une méthode aux processus rigoureux, essentiellement fondée sur des rencontres physiques en lieu neutre. « Les dialogues par écrans interposés sont déstabilisants. Nous avons l’habitude d’être avec les personnes. Pour nous, le langage non verbal est très important. Un sourire, un recul, une main sur l’épaule : les gestes nous renseignent, l’ordinateur coupe cette richesse corporelle », explique la médiatrice Françoise Duchâteau.
Problème de la confidentialité
Les médiatrices du CFM apprennent à décoder de nouvelles expressions via la vidéo. « J’essaye de me concentrer sur les voix, leur musicalité, le changement de ton, d’intonation, on redécouvre l’importance du silence dans la conversation », dit Catherine Guinle. « Les gens se déplacent beaucoup plus, ils sont plus libres de leurs mouvements », note une professionnelle, qui rapporte cette anecdote : en plein entretien par Skype, un père stressé est allé fumer une cigarette à la fenêtre, en portant son ordinateur. Après l’échange et une nuit de réflexion, il a envoyé un mail à l’aube, pour proposer un accord inespéré, dans un conflit très épineux. « J’ai eu l’impression que l’entretien à distance avait pu le rendre plus libre de dépasser ses émotions et de trouver ses ressources », analyse la médiatrice. Une de ses collègues a eu la surprise de voir un couple continuer à échanger sans elle, après une coupure de réseau. Comme si ce nouveau mode de communication générait des moments propices aux relations qu’on croyait rompues. Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Si ça dure trop longtemps, on verra…» : les petits arrangements des parents séparés en période de confinement
Les entretiens étant majoritairement individuels, Internet pose surtout le problème de la confidentialité. Qui est autour de l’écran ? Qui est dans la pièce lorsqu’une mère, ou un père, livre ses émotions intimes, évoque ses angoisses ou ses récriminations, face à un médiateur lointain ? Les médiatrices demandent à leur interlocuteur de se poster seul dans une pièce, d’éloigner les enfants, de couper le téléphone… et de ne pas enregistrer ! Le risque serait de voir utiliser l’entretien contre l’ex-conjoint dans le cadre d’une procédure. Tout le contraire de la médiation, qui consiste à apaiser et renouer le dialogue, dans la confiance et l’équilibre. Florence Gautheron va jusqu’à demander un engagement écrit et signé : « La médiation à distance c’est mieux que rien, nous devons adapter le cadre dans cette période bousculée », justifie la responsable de la médiation au sein de l’union départementale des associations familiales (UDAF).
« Nous devons être souples et pragmatiques, le confinement peut être un catalyseur d’opportunités ; dans ce climat d’insécurité collective, nous dépassons les logiques individualistes, ce qui favorise des solutions que nous pensions impossibles, mais il faut veiller à la validité des entretiens », estime Michaël Haenel, directeur de l’Association française des centres de consultations conjugales, un de quatre principaux organismes de médiation de la région lyonnaise.
La médiation en période de confinement révèle crûment les inégalités sociales. Basée à Villeurbanne, l’association Colin-Maillard a préféré arrêter ses entretiens à cause du manque d’équipement des familles ou des logements trop exigus dans les quartiers défavorisés. « Quand la situation sociale et économique des personnes nous met dans une position intenable, nous devons arrêter, nos conditions éthiques ne sont pas réunies », estime Morgane Chaudières. Après une période d’arrêt, la directrice de l’association a réussi à relancer tous les parents, et se félicite : « même en situation de précarité, les familles parviennent à trouver des ressources. »
Innovations
Tenus à distance, les médiateurs ont la crainte de perdre le contrôle de certaines situations. Du coup, ils innovent. En période de confinement, beaucoup de professionnels passent systématiquement un coup de fil après l’entretien par Skype, pour s’assurer qu’aucun malentendu ne s’est immiscé dans l’espace virtuel. Autre trouvaille, pour préserver leur nécessaire impartialité : la « navette ». Auparavant, les entretiens communs permettaient à chacun de s’exprimer en direct, sans intermédiaire. Lire aussi Pendant le confinement, le délicat suivi à distance des auteurs de violences conjugales
Pour compenser le manque de rencontres, les médiatrices du CFM s’autorisent à porter la parole et les propositions d’un conjoint vers l’autre parent. Ce qui exige une neutralité totale, essence de la médiation. « Nous devons introduire l’absent dans l’échange, nous activons la présence de l’autre », résume Françoise Duchâteau. « On nous demande du soutien en cette période difficile pour les familles, mais nous ne sommes pas des coachs, nous devons maintenir l’équité », résume Claude Ben Amouzic. Lire aussi « La crise sanitaire ne fait qu’aggraver les inégalités et les violations des droits des plus vulnérables »
Outre les bouleversements méthodologiques, les médiateurs, eux aussi confinés, se retrouvent à gérer les conflits depuis leur domicile. Avec l’impression que les couples et leurs problèmes envahissent leur sphère privée. « Jusqu’alors, j’avais un temps de réflexion dans le trajet pour me rendre au travail, je déposais les tensions au bureau avant le retour. Je n’ai plus la même distance, je ne serai pas la même professionnelle après tout ça », témoigne la médiatrice du CFM Alexandra Beaupin. « Cette période de crise favorise la créativité, nous pensons différemment, c’est une épreuve de vérité, de solidarité, nous parvenons à trouver des ressources insoupçonnées, il faudra le garder en mémoire », espère Liliana Perrone, pionnière de la médiation familiale. »